Eriphile était partie du couvent le lendemain après l'arrivée de la lettre de Pandorha de Hennfield. La Mère Supérieur lui en avait dit assez peu sur sa parente. La Duchesse était assez jolie, d'une vingtaine d'année, mais Eriphile n'en savait pas plus. C'était avec beaucoup d'appréhension qu'elle avait rejoint le Berry. Le voyage jusqu'à Rouen avait été éprouvant, elle n'avait jamais voyagé et même n'avait jamais quitté Sainte M... . Déjà, elle sentait que les voyages en coche n'était pas faits pour elle, ça remuait, ça branlait, ça cognait. Vite, elle se sentit mal, on avait dû faire plusieurs pauses afin qu'elle se dégourdisse les membres et se changent les idées. Finalement, après trois jours interminables, on arriva à Rouen. Elle apprit avec horreur que c'était par bateau qu'elle devait rejoindre Sancerre. Le capitaine était charmant et les gens de la famille de Hennfield de société agréable, mais les si rares divertissements qu'elle put trouver à bord ne suffirent pas à atténuer l'exécrable mal de mer de la frêle jeune fille. Quand enfin on arriva à Troyes, le répit fut de courte durée, car on ne lui laissa qu'une seule nuit pour recouvrer ses esprits et ses forces, avant de reprendre la route pour une ultime et tumultueuse traversée jusqu'au domaine de la Fortillesse. Tourmentée par les fantômes de son passé et de ses deux parents décédés et malmenée par les secousses de la voiture durant tout le trajet, c'est d'un regard bienveillant et de soulagement qu'elle considéra le haut des remparts, à l’approche du château. Le domaine était d'une grande beauté, une allée de cyprès succédait aux hauts remparts qui se dressaient autour du manoir. Enfin, on s'arrêta devant l'escalier. Avant de descendre, Eriphile considéra un moment le paisible silence et les gazouillements des oiseaux qui régnaient en ces lieux. Le contraste avec le choc des roues du carrosse sur le pavé était frappant. Apaisée, Eriphile se leva lorsqu'on tourna la poignée du coche. Le bien-être qu'elle avait ressenti un instant auparavant disparu soudainement, car enfin elle se souvenait du motif qui l'amenait ici. Sa mère et son père étaient morts, elle était à présent seule, seule dans un monde vaste et hostile, alors qu'elle passait la tête par la porte, elle se rapprochait sans cesse d'une nouvelle vie et d'une nouvelle famille. La peur de ne pas être à sa place, la peur d'être en trop dans une famille qui ne l'avait pas désirée, dans une famille où venait d'arriver quelques jours auparavant un nouveau-né la submergèrent. Tremblante elle avança vers la porte, elle monta la première marche, la deuxième, la troisième, finalement elle se retrouva sur le seuil de la porte. Un serviteur la salua et lui signifia :
"Sa Grasce Pandorha de Hennfield a été avertie de votre arrivée. Bienvenue à la Fortillesse, Mademoiselle, j'espère que vous avez fait bon voyage."
En guise de réponse, Eriphile balbutia quelques mots, sûrement incompréhensibles, puis parcourut du regard la grande bâtisse qui se dressait devant elle.